Le chemin du deuil au travail

En tant qu’entrepreneurs, nous sommes souvent animés par la passion, l’ambition et le désir de voir notre entreprise prospérer. Nous consacrons d’innombrables heures à bâtir nos rêves, convaincus que notre détermination peut surmonter tous les obstacles. Mais que se passe-t-il lorsque la vie nous confronte à une épreuve aussi dévastatrice que le deuil ?

Comment continuer à avancer lorsque notre monde s’écroule soudainement autour de nous ?

Il y a quelques années, j’ai vécu l’impensable : la perte de mon fils Ulric, emporté par un cancer du cerveau à l’âge de 11 ans. Cette tragédie a bouleversé chaque fibre de mon être, ébranlant non seulement ma vie personnelle, mais aussi tout ce que j’avais construit professionnellement.

Quand le deuil frappe un entrepreneur

À cette époque, je dirigeais une école de cuisine, un projet dans lesquels j’avais investi tout mon cœur, mon temps et mon énergie. Voir des étudiants découvrir la joie de cuisiner et partager ma passion culinaire était une source immense de satisfaction. Cependant, lorsque la maladie d’Ulric a frappé, jongler entre mon rôle de mère monoparentale et celui d’entrepreneur est rapidement devenu très difficile.

L’un des premiers coups durs professionnels a été le départ successif de mes employées. Alors que je traversais la période la plus sombre de ma vie, celles en qui j’avais confiance ont choisi de quitter le navire, me laissant seule face à une tempête que je ne pouvais maîtriser. Cette série d’abandons a été profondément douloureuse. Je me suis sentie trahie et isolée, devant assumer seule la gestion quotidienne de l’entreprise tout en étant aux côtés de mon fils dans sa lutte contre la maladie.

Malgré tout, j’ai tenté de maintenir l’école à flot. J’ai honoré les derniers contrats et satisfait nos clients fidèles. Mais la réalité était implacable : sans une équipe solide et un soutien constant, il était impossible de conserver le même niveau d’excellence que j’avais toujours visé.

La naissance des cours de Petit Chef 

C’est dans ce contexte de chaos et de douleur que l’idée de créer un cours de cuisine en ligne est née. Bien avant que la pandémie ne rende ce format populaire, j’ai vu là une opportunité de continuer à partager ma passion tout en adaptant mon travail à ma nouvelle réalité personnelle. Mes cours de Petit Chef sont nés d’une période de profonde adversité, continuent aujourd’hui de prospérer et de toucher de nouvelles personnes, témoignant de la résilience que j’ai puisée en moi-même.

Un nouvel emploi : La recherche d'un nouveau départ

Prendre la décision de fermer les portes de mon école de cuisine a été une décision difficile. Dire adieu au chef, au boss en moi, a été comme renoncer à une partie de moi-même, à mon rêve d'entrepreneur que j'avais chéri et nourri pendant tant d'années. Même aujourd’hui, alors que la cuisine ne me passionne plus autant, ce renoncement est un lâcher-prise que j'ai dû apprivoiser. Mais face à l’immense chagrin et à l’épuisement émotionnel, j’ai compris qu’il était nécessaire de tourner la page pour préserver ma santé et commencer un processus de guérison et mon deuil.

Voulant rester proche de l'entrepreneuriat, qui avait toujours été mon moteur depuis mes 18 ans, j’ai cherché un nouveau départ en intégrant un emploi dans le domaine du développement économique, entouré de personnes qui ne connaissaient rien de mon passé ni de ma douleur. Ce changement radical était à la fois rafraîchissant et terrifiant. D’un côté, il m’offrait l’opportunité de reconstruire ma vie sur de nouvelles bases ; de l’autre, il m’obligeait à naviguer dans un environnement inconnu, sans le confort et le contrôle que procure le fait d’être son propre patron.

Très vite, j’ai réalisé que mon deuil était un compagnon que je ne pouvais ignorer, même dans ce nouveau contexte professionnel. Expliquer la perte d’Ulric à de nouveaux collègues était un exercice délicat, souvent maladroit. Certains évitaient le sujet, d’autres exprimaient une compassion sincère, tandis que quelques-uns ne savaient tout simplement pas comment réagir. Une gestionnaire, en particulier, a choisi de percevoir ma douleur comme une faiblesse, allant jusqu’à m’accuser d’utiliser mon deuil pour « jouer la victime ». Ces paroles ont ravivé des blessures profondes et ont mis en lumière le manque criant d’empathie et de compréhension qui peut exister dans le milieu professionnel.

Exploitation et harcèlement : une descente aux enfers

Étant naturellement portée par le travail et cherchant à noyer mon chagrin dans l’activité, j’ai plongé corps et âme dans mes nouvelles responsabilités. Je pensais que l’engagement professionnel pourrait servir de baume à ma douleur. Cependant, ce zèle a rapidement été exploité par certains de mes supérieurs. Mon expérience en entrepreneuriat et mes compétences en marketing apportaient une réelle valeur ajoutée, attirant de nombreux participants aux formations que nous proposions. Pourtant, au lieu de reconnaître et de valoriser ces contributions, mes gestionnaires les ont utilisées à leur avantage, s’appropriant mon travail et me surchargeant constamment sans reconnaissance ni soutien adéquat.

Ce climat toxique, combiné au poids écrasant du deuil et aux incertitudes apportées par la pandémie, a créé un cocktail destructeur pour ma santé. Les frontières entre ma vie personnelle et professionnelle sont devenues de plus en plus floues, me laissant épuisée et désorientée. Lorsque j’ai finalement eu la force de dénoncer ces abus et de remettre en question cette dynamique injuste, la réponse a été encore plus dévastatrice : l’une de mes gestionnaires a manigancé pour me pousser vers la sortie, intensifiant le harcèlement psychologique jusqu’à ce que je n’aie d’autre choix que de quitter mon poste.

La résilience à travers le deuil : Apprendre à guérir

Cette expérience m’a confrontée à la dure réalité de la vulnérabilité en milieu de travail, surtout lorsque l’on traverse déjà une épreuve personnelle majeure. J’ai compris l’importance cruciale de poser des limites, de reconnaître ses propres besoins et de ne pas sacrifier son bien-être pour répondre aux attentes déraisonnables des autres.

Grâce à l’aide précieuse d’une psychologue, j’ai pu entamer un véritable travail de reconstruction. J’ai appris à accepter que le deuil est un processus complexe et non linéaire, qui nécessite du temps, de la patience et beaucoup de compassion envers soi-même. J’ai également réalisé que partager mon histoire pouvait non seulement m’aider à guérir, mais aussi offrir du soutien et de l’espoir à d’autres personnes traversant des épreuves similaires.

Aujourd’hui, six ans après la perte d’Ulric, je continue de lui rendre hommage en prenant chaque année un temps de recueillement lors de l’anniversaire de son décès. Ces moments me permettent de me reconnecter à mes émotions, de célébrer sa mémoire et de reconnaître le chemin parcouru depuis sa disparition. Chaque papillon que je croise me rappelle sa présence et la beauté persistante de la vie malgré les épreuves.

Le deuil comme source de transformation

Mon parcours, bien que marqué par la douleur et les obstacles, m’a également offert des leçons inestimables de résilience, de force et d’empathie. À tous ceux qui traversent le deuil tout en essayant de maintenir leur activité professionnelle, je souhaite dire ceci : accordez-vous la grâce et le temps dont vous avez besoin. N’hésitez pas à demander de l’aide, à poser des limites et à honorer vos sentiments. Le chemin est long et parfois tortueux, mais il peut mener à une profondeur et une compréhension de soi que peu d’expériences offrent.

La vie continue, et avec elle viennent de nouvelles opportunités de croissance, de joie et de connexion. Même dans les moments les plus sombres, il existe des lueurs d’espoir et des raisons de sourire. Ulric continue de vivre à travers moi, dans chaque acte de gentillesse, chaque passion poursuivie et chaque moment de beauté que je choisis d’embrasser.

Le deuil n'efface pas l'amour, il le transforme. C'est dans l'acceptation de la perte que nous découvrons la profondeur de notre résilience et la capacité à créer une nouvelle vie.

Annie Bahl - Guide d'affaires 

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